Haut dans le ciel - Kikuo Takano

 

Haut dans le ciel

 

Le poète japonais Kikuo Takano est pour la première fois publié en langue française et en France, il a reçu le prix Attilio Bertolucci pour son œuvre poétique.

 

Traduction de Philippe Démeron.

Préface de Paolo Lagazzi.

 

Format 12 cm x 18 cm - 185 pages

ISBN : 978-2-37517-016-8

Prix 15 euros (+ 4€ de frais de port)

 

Parution en 2020. 

 

Ce livre contient :

. Les paroles et le ciel préface de Paolo Lagazzi
. Biographie de Kikuo Takano
. Extraits de : LA TOUPIE (1957)
. Extraits de : L’EXISTENCE (1961)
. Extraits de : TÉNÈBRES COMME DES TÉNÈBRES (1964)
. Extraits de : DU RECUEIL DE POÉSIE DE KIKUO TAKANO (1966)
. Extraits de : POUR RENCONTRER (1995)
. Poésies inédites
. Ce qu'a signifié pour moi la poésie par Kikuo Takano.

 

Je suis si provincial que je ne parle que ma langue maternelle, et si paresseux que je ne suis jamais sorti du Japon avant mes soixante-dix ans. Cependant j’ai eu la chance d’être invité à cette magnifique rencontre de Pescocostanzo, et je vous remercie de tout cœur pour votre chaleureux accueil.

Avant d’arriver dans cette région splendide j’ai passé quelques jours à Rome, où je me suis souvent remémoré ces vers du poète Sergio Corazzini : « Je ne suis pas un poète ./ Je ne suis qu’un petit enfant qui pleure ».
Pendant ce voyage en Italie je me suis aperçu que je suis moi aussi, encore aujourd’hui, un enfant qui pleure, malgré mon âge, et cela a été un premier grand cadeau, inattendu pour moi.

Qu’a signifié pour moi écrire de la poésie ? C’est une question que je ne me pose pas tous les jours : en y faisant face, je ne me sens pas encore les idées bien claires. Je crains que mon discours ne soit un peu ennuyeux et que peut-être il ne vous endorme…

En 1945, après la fin de la guerre mondiale, j’ai commencé à écrire des poèmes. J’étais un jeune homme de dix-sept ans en proie à ses obsessions, partagé entre le découragement, la dévastation de l’esprit et un sentiment patriotique à présent en lambeaux : j’ai commencé à me confronter avec les mots. Je voulais isoler chaque vocable et en mettre en pièces le sens ; j’écrivais dans le seul but de créer d’autres liens entre les mots. Seule l’idée d’une vallée de larmes, émergeant entre les lignes d’un sens mis en pièces et d’un contexte affreusement incompréhensible, enveloppait de ténèbres (allez savoir pourquoi) mon âme affligée. Je n’éprouvais aucun intérêt réel pour le surréalisme, mise à part sa philosophie.


Bien vite cependant, déçu par l’inefficacité de mes vers j’ai décidé d’aller dans une autre direction, et j’ai brûlé tous mes poèmes.

Pendant quelque temps je me suis mis à lire les œuvres de Heidegger, sans rien écrire. Confronté à ses pages sur l’être et sur la poésie j’éprouvais, qui sait pourquoi, un peu d’irritation mais plus je les lisais et les relisais et plus je me sentais y adhérer. Après ces lectures heideggériennes, j’ai décidé de m’interroger sur le sens de la vie avec ces mêmes mots dont je cherchais, sincèrement, le sens – et de le faire désormais sans crainte. (...)

Kikuo Takano.

 

Pour toi

 

Cette nuit

je placerai un vase fêlé

en porcelaine blanche

sur ton bureau

pour enlever mon âme

à ton soupir.

 

Cette nuit

j’enverrai une grande araignée affamée

marcher sur ton sein

pour créer l’enfer

jusque dans ton sommeil.

 

Cette nuit

j’enduirai de jus

d’oignon frais

tes paupières

pour que sans trêve

de tes yeux mêmes

coulent mes larmes.

 

(Extrait de La toupie, 1957).

 

 

Parmi les grands poètes japonais contemporains, Kikuo Takano (1927-2006) aimait beaucoup l'Italie, souvent invité à des festivals et à des conférences, et avait reçu le prix Attilio Bertolucci. Parmi ses collections les plus importantes, nous retenons The spinning top, The existence, The darkness as darkness et To meet . Même en Italie, son travail poétique a rencontré de nombreux admirateurs, notamment avec les collections L'anima d'acqua (Empiria, 1996) et Secchio senza fondo (1999), ce dernier étant réalisé par la Fondation Piazzolla.

 

En dépit de l'extrême simplicité stylistique et formelle de ses poèmes, Kikuo Takano est un poète d'une grande complexité: on part de la fleur, du papillon, du mouvement circulaire qui, chaque jour, presque par inertie, fait naître et mourir le soleil sans se rendre compte que nous avons parcouru un long chemin, au point de remettre en question l'origine de l'univers, le sens de l'amour, l'existence de Dieu. Kikuo Takano lui-même a écrit de sa poésie: "La poésie est pour moi le seul moyen de rencontrer le sens et la beauté mystérieuse des liens entre les êtres. Nous sommes enracinés dans les mots et nous sommes sur la terre pour les garder ".

Texte critique de Walter Siti extrait de: "Il senso du ciel - Poésie 1955-2006" de Kikuo Takano, rédigé par Renato Minore, traduit par Yasuko Matsumoto (Passigli, 2017).

                                                                                                              ***

Kikuo Takano (1927-2006) est un mathématicien et poète japonais qui n'avait jamais été publié en français jusqu'à ce que les éditions RAZ demandent à Philippe Démeron de traduire un regroupement de textes écrits sur une quarantaine d'années. 

 

Après ses lectures d'Heidegger, et ses pages sur l’être et sur la poésie, Takano déclare avoir "décidé de m’interroger sur le sens de la vie avec ces mêmes mots dont je cherchais, sincèrement, le sens – et de le faire désormais sans crainte. (...)". Le sens, la place dans la vie, la vérité de soi, la philosophie "Jusqu'à quel point suis-je moi-même ?".

Poète de l'instantané, il place bien entendu sa poésie, comme bon nombre de poètes japonais, dans les éléments naturels. "Quand je ne posais pas encore de questions / sur le sens du ciel et de la terre, / j'avais des mains et des pieds de boue - / alors ma langue était heureuse : / en elle la lumière rencontrait l'eau, / le ciel et la terre : j'étais heureux / comme une feuille d'arbre."

 

Bien entendu le monde végétal est bien représenté dans ces pages "Les arbres accomplissent ce que / la terre n'est pas parvenue à faire. / Les oiseaux poursuivent ce que / n'ont pas réalisé les arbres. Mais que // pourra accomplir l'homme ?" Le fruit, l'anémone, la fleur de lotus , le prunier, la grappe de raisin, mais aussi l'animal, l'ibis, la cigale, l'alouette, la luciole,  la truite, le tigre, lui inspirent de beaux textes qui parviennent à toucher l'âme du lecteur. 

 

Le miroir aussi revient régulièrement dans sa réflexion. Reflet, réflexion, révélation de l'ego. "Quel triste objet / ont inventé les hommes ! / Qui se regarde dans un miroir / fait face à lui-même  / et qui pose la question / est, en même temps, interrogé. / Pour allée plus au fond des choses / l'homme doit faire le contraire  / et s'éloigner. "  Révélation du vide en soi.

"Si l'on met face à face / deux miroirs, par leur reflet réciproque, / ils révèlent un vide profond. // ils révèlent  / un vide infini."

 

Les éléments sont convoqués en guise de miroir pour parler de soi avec vue directe sur  l'intime "Face à la mer j'ai l'impression d'être / un enfant grondé - / nous avons tous l'impression d'être des enfants grondés". Une vue à l'acuité renforcée par la solitude "Quand je demeure seul / le proche devient le lointain. / Comme un gant retourné  / l'intérieur se fait extérieur. ".

 

Et pour terminer, réfléchir à ce petit conseil de vie que nous offre Kikuo Takano : "Cependant nous avons l'espérance : / l'âme et les paroles ne doivent pas / attendre à la fenêtre mais chercher / les portes par où passer."

 

Denis Heudré.

 

 

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Article dans la revue Les Cosaques des Frontières :

https://lescosaquesdesfrontieres.com/2020/12/03/kikuo-takano-aux-editions-raz/

Lecture d'extraits du livre :

Lecture de confinement (30' minutes d'Insomnie).

Article de Dominique Boudou sur le site Jacques Louvain :

https://dominique-boudou.blogspot.com/2024/02/kikuo-takano-haut-dans-le-ciel.html?spref=fb&fbclid=IwAR3GuGew9G-i3Ys7-H3pCiGo3V4nJ3H-b-sk9ORrvrsbgX9VdEBlCQsZqiI

 

 

 

 

 

Kikuo Takano (20 novembre 1927 - 1 mai 2006) est un mathématicien et poète japonais né dans l'île de Sado et diplômé du Utsunomiya Agricultural College en 1948.

 

Il commence à écrire des poèmes le lendemain du jour où le Japon est vaincu lors de la deuxième guerre mondiale. Inspiré par le surréalisme et Heidegger, il compose des poèmes qui demandent quel est le sens de l'être. Il reçoit le prix Attilio Bertolucci pour son œuvre poétique.